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Trouver son équilibre... et le perdre

Respecter "l'équilibre vie pro / vie perso", avoir une vie "saine et équilibrée", "manger équilibré", avoir de l’équilibre, trouver son équilibre, que ce soit dans la vie, au sein de son couple, conserver un équilibre vie de couple / vie de famille, être équilibré-e… La quête d’un équilibre de vie, personnel, existentiel, comme un lieu où il fait bon s’épanouir, où l'on se sent bien, qui rassure et permet de se développer, est parchemée d'embûches et de rechutes. Parfois, ce sont des maladies, des accidents de parcours. Parfois, ce sont nos propres angoisses, nos peurs, qui malmènent notre équilibre chéri et nous remettent au travail, inlassablement.


Trouver son équilibre

Trouver son équilibre dans notre société actuelle tend à basculer dans l’extrême du contrôle et de l’injonction vers une perfection et un idéal par définition inaccessibles, à grands coups de développement personnel, où le lâcher prise devient quasi obsessionnel. Serait-ce à dire que ne pas vivre une existence équilibrée, c'est être (un-e) déséquilibré-e ?


À l’heure où la santé mentale est érigée en grande cause nationale, tout en se voyant réduire à peau de chagrin les moyens publics qui lui sont alloués ; dans un contexte socio-politique bousculé, sous le choc de discours et de comportements fascistes et hors sens ; dans tout ce chaos : c’est quoi trouver son équilibre de vie ? Dans une société néo-narcissique où les étiquettes se multiplient et figent des identités noyées dans la surconsommation de masse, c’est quoi l’équilibre ? Comment le trouver et comment le garder ? Que faire quand on l'a perdu ?


Trouver son équilibre

Trouver son équilibre : une quête permanente


C'est quoi l'équilibre ? Que signifie trouver son équilibre dans la vie ? "Tenir un équilibre, chacun sait ce que cela implique, qu'il s'agisse du champ des exercices corporels ou des relations internationales. On connaît cette expression qui perdure en dépit de tout, "l'équilibre de la terreur", et l'intérêt vital de maintenir cet équilibre. (...) Mais que peut bien vouloir dire affronter le déséquilibre, voire en tenir le risque ?", demande la philosophe Elisabeth Grossman dans son essai L'Art du déséquilibre. L'équilibre serait alors ce moment, cette période, ce parcours dans nos vies où nous nous sentons suffisamment bien dans la pluralité des domaines qui composent notre existence : le travail, l'amour, la famille, les amis, le sport, les loisirs, l'argent, les voyages, les vacances, les enfants, la maison, les projets à venir, etc. Ce n'est pas une sensation parfaite, mais tout cela tient, quelque chose dans notre organisation, dans le choix de nos priorités, de ce qui fait sens pour nous, de ce qui nous fait du bien, dans le temps que nous donnons à notre couple, à nos amis et à nous-mêmes créent un bien-être agréable. Nous nous sentons en sécurité dans notre corps, dans nos pensées, dans notre coeur, dans nos finances, capables d'affronter les désagréments et contrariétés du quotidien avec confiance. Cet équilibre que nous avons construit, au fur et à mesure de nos expériences, est plus ou moins stable selon les jours, selon les humeurs, mais ce n'est pas grave. Les fondamentaux sont là. Cet équilibre, c'est le nôtre pendant une certaine durée, à un certain moment de notre vie. Il arrive, soit lentement mais sûrement, comme à notre insu, soit dans l'après-coup d'un événement plus ou moins douloureux, que l'équilibre ne tienne plus, ne fonctionne plus : quelque chose cloche, et nous perdons l'équilibre. "Equilibre et déséquilibre ne s'opposent pas aisément comme le jour et la nuit, le Bien au Mal. Puissamment liés, ils échangent parfois leur place, tant l'un peut virer à l'autre sans crier gare", souligne Elisabeth Grossman.


Trouver son équilibre

Perdre l'équilibre n'est pas forcément tomber


Perdre l’équilibre est souvent vécu ou perçu comme une chute, irrémédiable ou radicale, avec l’angoisse abyssale de s’effondrer au beau milieu d’un trou noir dont il nous semble alors impossible de revenir. Comme si tout ce que nous avions entrepris jusque-là n'avait servi à rien, avec le sentiment de s'épuiser à réessayer à nouveau, dans un même élan et avec une motivation intacte. Avec en prime la culpabilité ou la honte de ne pas y arriver - comment font les autres ? Dès nos forces et notre courage retrouvés et ragaillardis, nous voilà déjà repartis, manches retroussées, volonté à toute épreuve, en quête de l'équilibre perdu qu'il s'agit de retrouver, coûte que coûte - il est bien là, quelque part - avec acharnement, multipliant les tentatives - avec un peu de chance les mêmes qu'auparavant, histoire d'obtenir les mêmes résultats -, tentant de capter dans une agitation frénétique ce qui était là et s'est évanoui, évaporé. Jusqu'à nous épuiser, nous user, à la fois hébétés et frustrés devant un objet cassé que nous cherchons désespérément à réparer. Or, comme le rappelle la psychanalyste et philosophe Cynthia Fleury, "on ne répare pas ce qui est cassé, c'est cassé. On "répare" par métaphorisation, on crée autre chose. (...) Il faut faire le deuil de la réparation pour précisément créer autre chose." Quelque chose advient alors, "et c'est cette émergence-là qui est créatrice." L’équilibre d’antan est définitivement perdu, aux oubliettes, rien ne sert de chercher à tout prix à le réanimer, à le ramener à la vie d’un présent qui n’existe déjà plus. S'accrocher à retrouver notre équilibre perdu dit notre peur, notre angoisse à l'idée même de perdre l'équilibre. Mais il est déjà parti. Perdre l’équilibre, ce n’est pas forcément tomber. Ce n'est pas forcément s'effondrer la tête la première dans une fin de non-recevoir existentielle. C’est aussi se rattraper au vol, réajuster une posture, faire un mouvement de jambe, redresser la tête, différer un projet, regarder autrement, ou commencer par respirer.


Le déséquilibre, condition d'un nouvel équilibre à venir


Cet équilibre désormais disparu est le signe d'un nouvel équilibre à venir : un autre pointe le bout de son nez, inédit donc angoissant, parce pas encore là, en devenir, aux contours flous, aux repères à créer. Comment changer d'équilibre, en phase avec nos évolutions personnelles, professionnelles, spirituelles, si nous ne sommes pas en déséquilibre à un moment donné ? Comment trouver une cohérence plus juste si nos pensées, notre corps, nos émotions ne font pas l'expérience d'un déséquilibre, d'une tension qui, en l'occurrence, n'est plus tenue parce qu'elle ne convient plus ? A la fin du film Mange, Prie, Aime réalisé par Ryan Murphy en 2010, Liz (Julia Roberts) retrouve Ketut, un soigneur sans âge, à la fin d'un périple qui l'a amené en Italie, puis Inde, et enfin à Bali qu'elle s'apprête à quitter, tiraillée par sa peur de s'engager dans une nouvelle relation amoureuse avec un homme, Felipe (Javier Bardem), qu'elle vient de rencontrer. Avant son départ, elle rend une dernière visite à Ketut, auquel elle explique son choix de partir pour préserver son équilibre, celui qu'elle a mis tant de mois à trouver. Pour le conserver, elle préfère mettre un terme à sa relation avec Felipe par peur de souffir, d'être à nouveau déçue après un divorce douloureux, par crainte de l'inconnu, de ce que cette relation implique pour elle, etc. Et Ketut, avec une simplicité déconcertante, comme une évidence, lui répond : "il faut déséquilibre pour nouvel équilibre venir".



Etre en déséquilibre, c'est le signe qu'un changement est nécessaire. Sans que ce mouvement ne nécessite forcément une révolution, de tout jeter ou tout refaire. Bouger quelque chose, faire autrement, expérimenter, faire un essai, se donner l'espace d'avoir envie, par exemple, c'est déjà s'inscrire dans quelque chose d'autre. C'est flirter avec l’oxymore, se tenir au bord, danser à la marge : trouver son équilibre implique paradoxalement d'accepter de le perdre, parce qu'à un moment donné de son existence, cet équilibre-là ne convient plus. Oui, c'est désagréable, inconfortable, désarçonnant, souvent douloureux ; peut-être parce que notre réflexe est de nous y accrocher. C'est précisément ce mouvement du déséquilibre qui est à observer et à accueillir, avec son inconfort et ses chamboulements.


Dans son roman Yoga, l'écrivain Emmanuel Carrère raconte son expérience personnelle de la méditation, à l'opposé de l'image qui y est majoritairement associée dans les rayons "bien-être" de nombreuses enseignes : "On ne fait rien, en méditation, on ne doit surtout rien faire, sauf observer. On observe l'apparition des pensées, des émotions, des sensations dans le champ de la conscience. On observe leur disparition. On observe leurs pilotis, leurs points d'appui, leurs lignes de fuite. On observe leur passage. On n'y adhère pas, on ne les repousse pas. On suit le courant sans se laisser emporter. A force de faire ça, c'est la vie même qui change. On ne s'en rend pas compte, d'abord. On a la vague impression d'être au bord de quelque chose. Petit à petit, ça se précise. On se décolle un peu, un tout petit peu, de ce qu'on appelle soi. Un tout petit peu, c'est déjà beaucoup. C'est déjà énorme." Vivre, c'est s'exercer en permanence à "L'art du déséquilibre" qui "fait surgir d'inédites trouvailles artistiques, poétiques, des trouées de bonheur absolu", écrit Elisabeth Grossman. Nous sommes toutes et tous des "déséquilibristes", des "acteurs d'une crise créatrice sans cesse rejouée et traversée." Nous sommes toutes et tous sans cesse à renouveler. Par essence, des êtres changeants, tout le temps.



Trouver son équilibre... et le perdre

 Diane Baudry, Psychanalyse, Psychothérapie, Hypnothérapie à Paris


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